Croissance à tout prix, pour mieux foncer dans le mur

C’est l’émission Cash Investigation qui m’a ouvert les yeux et poussé à la rédaction de cette publication. Élise Lucet et son équipe nous plonge en effet dans les méandres de la productivité, de la recherche du profit à tout prix. Pour cela, l’équipe nous amènera dans les coulisses d’une entreprise à la renommée reluisante.  Un groupe Allemand qui a su établir un réseau de 1 500 magasins à travers la France et qui a réalisé l’année dernière un chiffre d’affaires de 8 milliards d’euros. C’est 13 années de SMIC pour 30 000 personnes, soit le nombre de ses salariés en France. Cette entreprise, c’est Lidl. Mon intention n’est pas de l’incriminer, loin s’en faut. Dans tous les cas elle est d’ailleurs loin d’être la seule à avoir ce type d’agissements. Parmi d’autres, nous pourrions citer Amazon et Free. Néanmoins, le fruit du travail des équipes de Cash Investigation est assez édifiant pour que nous l’utilisions comme un cas d’école.

 

Allons droit au but, en dépit de ses résultats mirobolants, travailler chez Lidl est un vrai cauchemar pour ses salariés. Ces derniers sont soumis à une pression constante de leurs supérieurs, n’ont pas le droit d’aller aux toilettes, n’ont pas de pauses, n’ont pas la possibilité de se parler entre eux et sont guidés toute la journée par des machines qui surveillent leur productivité. Des « GPS » selon les propres mot de Denis Maroldt, co-gérant de Lidl France et vice président des relations sociales. Ça fait beaucoup mais pourtant je me suis limité aux faits qui m’ont le plus marqué. Nous pourrions ajouter à cela les menaces et le harcèlement. Résultats  : des employés déprimés qui vont au travail avec une boule au ventre parce qu’ils ont le sentiment de devenir des robots chaque jour un peu plus. Certains iront même jusqu’à se donner la mort au sein même des locaux de l’entreprise, comme ce fut le cas de Yannick Sansonneti.

 

Voilà donc pour les questions d’ordre psychologique. Mais ce n’est pas tout, il faut à cela ajouter les effets dévastateurs sur le métabolisme physique de ces salariés. L’un de mes amis d’enfance va régulièrement dans une salle de sport. C’est un passionné qui s’entraîne avec ferveur tous les jours de la semaine depuis que je le connais. Il fait deux « séances de bras » par semaine et à chaque fois je dirais qu’il soulève 20 x 90kg (en vrai pas plus de 70kg mais je ne voudrais pas le froisser). Ce qui nous fait 1 800kg soulevés à chaque séance, soit 3 600kg par semaine. Si mes calculs sont bons, ce serait 720 kilos soulevés par jour en semaine. En comparaison, savez-vous quel poids un salarié de chez Lidl est amené à porter chaque jour ? Un peu plus de 8 tonnes.

 

Un salarié chez Lidl porte chaque jour plus de 8 tonnes de marchandise

 

Vers une déshumanisation des salariés ?

Tous les six mois mon ami se fait tendinite et doit se reposer pendant au moins deux semaines. Imaginez seulement les dégâts pour ces salariés qui soulèvent 11 fois plus. Huit (fucking) tonnes par jour, tous les jours de la semaine. Conséquences : tendinites, dégradation des articulations, augmentation de la fréquence cardiaque. Ce ne sont pas de grands sportifs que nous préparons pour les prochains jeux olympiques pourtant. Selon Alain Garrigou, professeur en ergonomie à l’université de Bordeaux et spécialiste de la santé au travail, nous sommes ici en présence de « machines à fabriquer des chômeurs de longue durée ». En effet, dans une grande majorité des cas les salariés sont déclarés inaptes au travail suite à ces séquelles physiques.

 

Tous les rapports établis, notamment par l’INRS et CATEIS , parlent de la déshumanisation des salariés. Alors bon, allez… je peux éventuellement imaginer qu’à une si grande échelle il soit difficile d’obtenir des informations fiables sur le moindre des maillons de la chaîne de production de valeur de l’entreprise. Supposons. Mais ce que je me refuse d’accepter par dessus tout, c’est que les dirigeants de l’entreprise, ayant pris connaissance de la situation au travers de ces rapports, n’aient pas pris les mesures drastiques qui s’imposaient. Comment peut-on aller si loin dans l’avarice pour être aveuglés à ce point par la croissance ?

 

Éthique et croissance, une histoire de karma

Lorsque je dirigeais Aaron Brainwave, une entreprise spécialisée dans l’email marketing, j’étais perpétuellement en train d’essayer d’envoyer toujours plus d’email. Mon but dans la vie, c’était de trouver des solutions pour optimiser la délivrabilité des emails des campagnes de mes clients. J’ai même écrit des articles sur le sujet, convaincu qu’en parvenant à être plus productive mon entreprise génèrerait plus de profits. Aujourd’hui, cette société est en liquidation judiciaire parce qu’en dépit de l’augmentation considérable des volumes d’envoi et du taux d’ouverture des messages envoyés les résultats n’ont jamais explosé. Alors avec du recul je me rends compte que la recherche de la productivité ne sert pas toujours le profit, comme on aurait tendance à le croire trop souvent.

 

À l’extrême opposé, les fondateurs d’Orchid Creation ont une toute autre approche de la productivité et du profit. Ils ont toujours misé sur la qualité plutôt que sur la quantité. La qualité du rendu des projets, mais aussi la qualité des clients, de l’enjeu des projets, des relations entre les salariés, des modes de vie et des valeurs de l’entreprise. En moins de 5 ans, elle s’est constituée un portefeuille de clients qui ferait frémir d’envie les plus grandes agences, s’est installée dans 8 pays sur quatre continents… La croissance de son chiffre d’affaires : 3 600%. J’ai assisté à cette (r)évolution depuis le début et j’ai même la chance de la vivre de l’intérieur depuis bientôt deux ans. Ce que j’en retiens, c’est qu’il est beaucoup plus productif de miser sur l’humain. Pas le faire pour le cliché. Le faire en vrai. En effet, en mettant les gens dans les meilleures conditions possibles, tant les clients que les salariés, nous augmenterons réellement la valeur ajoutée de l’entreprise. C’est cette augmentation de la valeur ajoutée de l’entreprise qui la rendra d’autant plus concurrentielle, sur tous les aspects.

 

Alors, à la lumière de tout ce qui précède et sur l’exemple des objectifs du millénaire pour le développement, je propose que les objectifs du millénaire pour l’entreprise soient les suivants :

  1. Réduire le rythme de la course à la croissance, dans l’intérêt de la course au bien-être durable.
  2. Tendre vers un profit commun et vers une répartition plus juste des richesses.
  3. Développer le bonheur des salariés au travail, qui développera le bonheur dans leur vie.
  4. Favoriser les relations humaines au sein des entreprises.
  5. Promouvoir la mixité sociale et culturelle au sein des services.
  6. Inspirer le partage des connaissances entre les collaborateurs.
  7. Donner à chaque collaborateur l’opportunité de s’épanouir dans un domaine qui le passionne.
  8. Cesser de considérer les salariés comme des « mouchoirs jetables ».
 

La productivité devrait toujours être motivée par l’envie de faire des salariés. L’envie de faire des salariées devrait toujours être la conséquence du sentiment de réalisation de ces salariés en tant que personne. C’est notre rôle en tant que dirigeant de faire que chaque personne se sente bien dans son travail. En espérant que ces objectifs du millénaire pour l’entreprise soient entendus, je vous souhaite une bonne soirée.

 

Photo by Carl Heyerdahl on Unsplash

Sources :

Cash investigation // Merci Elise LUCET pour le formidable travail de votre équipe.

Le figaro : Lidl affirme que le reportage ne reflète pas ses pratiques

Nations Unies : Objectifs Millénaires pour le Développement

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